lundi 10 septembre 2007

Quais de gare

J'aime les gares. Ces étapes. Sur le parcours d'une vie.

Un lieu de passage. De croisement. De brassage. De rapidité, d'effervescence, d'excitation. De pleurs, de fuite. Des trains à l'arrivée de nulle part. En partance pour partout, pourvu que ce soit ailleurs. Des voyageurs. Des visiteurs. Ceux qui arrivent. Ceux qui partent. Ceux qui restent sur le quai parce qu'on les abandonne, ou parce qu'ils n'ont jamais eu le courage de partir avec l'autre. Ceux qui vivent dans ces tunnels couverts et ouverts sur l'univers des possibilités.

J'aime y flâner. Aller respirer l'air bruyant et pollué des rails crissants, grinçants, et des câbles électriques auxquels se suspendent les trains. Comme autant de vies qui ne tiennent qu'à un fil d'énergie. On se dit parfois qu'on monterait bien dans un des wagons voie Z. Ou qu'au dernier moment on n'irait pas à BX, voie A. Et on partirait à AILLEURS. Dans n'importe quel autre train, mais pour AILLEURS.

- toudoudoug... information aux voyageurs. Le train n° 000 000 en partance de LA-BAS et à destination d'AILLEURS, entrera en gare à 00h00, quai des possibles voie 0.

Changer de voie. Changer de vie. A la vitesse d'un TGV ou d'un corail. Au rythme bruyant et inconfortable de cette vieille berline qui s'arrête dans chaque minuscule petite gare. Des coins perdus. On n'y descend jamais. Mais on regarde par la grande fenêtre vitrée, salie par les doigts poisseux qui s'y sont collés et les buées jamais essuyées. Les yeux y sont alpagués par des paysages qu'on ne verra jamais que de loin. Une jolie maisonnette. Quelques personnes anonymes qui pourtant ont chacune leur vie singulière et leur bagage plus ou moins lourd à porter. On se projette derrière la trace et les empreintes laissées par ces anonymes sur ce qu'est peut-être leur vie. On se dit qu'on aimerait peut être cette vie.

J'aime les gares. J'aime y voir les couples qui ne parviennent pas à se séparer. Amoureux transis, y'en a un qui part et l'autre qui reste. Seul. Au bord du quai. Comme un bateau échoué sur les berges de la vie. Douleur d'abandonner l'autre. Douleur d'être contraint de partir. Blessure ouverte parce que l'autre n'est pas monté avec vous. Douleur de celui qui reste.

C'est toujours plus ou moins comme ça dans la vie. Y'en a toujours un qui ne veut pas partir, tandis que l'autre ne veut pas rester. Pourtant, y'a aussi ces personnes qui voyagent ensemble: elles se sont trouvées un jour, et elles sont à la bonne heure H, le jour J, dans la même gare G, pour prendre le même train 000, pour la même destination D. Ca fait beaucoup de circonstances à réunirent, pour que ça arrive. Ca tient du coup de chance de la vie, ça.

J'aimais les gares. Parce que j'y rêvais qu'un jour, Il et Elle cesseraient de se croiser, de se rater, de s'attendre l'un l'autre. Je me disais que ce serait bien qu'ils soient un jour au rendez-vous, puisque déjà ils s’étaient trouvés. C'était déjà pas si mal. C'était un coup de bol. Ou un coup de foudre.

Et puis y'a eu les emmerdes. Et c'est devenu un coup de gueule.

Alors, je lui ai donné rendez-vous dans cette gare, ce jour, à cette heure, pour monter ensemble dans le même train de la vie. J'espérais qu'il y serait. J’espérais à m’en faire mal. Trop mal. J'en crevais déjà qu'il n'y soit pas. Mais avec ou sans lui, je m’disais que j’y monterais dans ce train de nulle part qui m'emmènerait ailleurs, où les rêves seraient à nouveau possibles.

Il n’est jamais venu. Il est arrivé trop tôt : je n’y étais pas. Après, il était déjà reparti. Peut être est-il arrivé trop tard. Ou peut être n’est-il jamais venu. Je ne le saurais jamais.

Je suis montée dans le train. Celui de la vie. Sans lui.

Et depuis, j’essaie d’oublier qu’en montant, je crois que c’est sa main que j’aurais aimé tenir.

L'odeur sale des trottoirs


Pshuiiiifffrrruifshiiiiiit . La gomme du pneu lisse la toile translucide qui nappe le bitume mouillé. Ciel plombé. Il courbe ma tête et mes épaules. Frissons d'humidité glacée sous la laine du manteau bleu marine. Je marche vers nulle part, les poings enfoncés dans mes poches. L'odeur de l'iode est trop loin. Le caniveau déverse ses larmes, odeurs de crasse, vers la bouche hideuse des égouts. L'ébène de la nuit se patine de cire aux éclats de lumières électriques. Néons fluo. Une enseigne cligne de ses yeux verts. Elle m'observe sans profondeur. Croix verte qui sauve les bleus de l'âme. Carotte du bar tabac qui soigne le vague à l'âme. Les bobos bleus se diluent dans l'eau sale de l'asparthame et l'or mielleux de la bière au coin du zinc.

Il est 21h00, il a plu en ville, et ce soir, sans savoir pourquoi, j'aime l'odeur sale des trottoirs.

dimanche 9 septembre 2007

Blood Mary

Les mains fourrées au fond des poches du jean's, cheveux bataillants contre le vent marin, elle descendait d'un pas traînant la ruelle salement glauque qui menait au bar des 4 potes. Elle ne les connaissait pas les 4 gaillards dont la tête de potache avait donné son nom au seul repère à pirates du bled. Des pirates venus de nulle part. N'allant nulle part. Même pas sortis en mer. Mais qui picolaient la journée durant et une partie de la nuit marine, en racontant des aventures imaginaires de pêcheurs jamais revenus.

- Salut la belle. Toujours pareil?

Elle acquiesça de la tête, le doré des boucles balayant l'eau trouble de ses yeux: de vastes océans, où quelques marins s'étaient aventurés et avaient sombré. Leur âme flottait encore quelque part sur la barquette d'une vie râtée, où les ciels n'auraient plus d'étoiles.

Le boss apporta le verre habituel. Comme un rituel.

- Qu'est-ce t'as, la belle, à boire toujours pareil? T'en as pas assez bu, du sang de matelots?
Elle ne dit rien. Elle ne parlait guère. La sirène en avait pris plus d'un dans les écailles de son corps. Les filets de pêche n'étranglent pas si fort, lorsqu'ils s'emmêlent.

Elle bu d'un coup. Sa main fouilla le fond du jean. Elle en sorti quelques biffetons et regarda ses doigts: l'humidité marine avait laissé des traces d'indigo indélébile sur ses doigts. Elle frotta. Rien n'y fît. Alors, sa voix d'ange, légère comme un chant, commanda au gars derrière son comptoir:

- Eh le pote... Encore un blood mary.

vendredi 7 septembre 2007

Le Vésone


02.03.2007

Le Vésone

14h00. Je suis épuisée de cette négo qui n'en finissait pas.
Un jeune débutant en face de moi. Tout frais moulu du moulage de son école. 12 mois. A apprendre la théorie. Lâché depuis le début de l'année dans la réalité de son métier. Et accessoirement aussi, ou surtout, dans la galère laissée par ses prédecesseurs qui se sont succédés et ont fini par jeter l'éponge (et le bébé avec l'eau du bain).

Cela me renvoie 7 ans en arrière. Le merdier à gérer. Tout en vrac. On ouvre les placards et on en sort les cadavres. Et ça n'en finit plus. Il faut purger tout ce qui ne va pas. On découvre au quotidien les problèmes, les irrégularités, les finances catastrophiques, le personnel jamais formé, abandonné depuis le début. C'est pas leur faute. C'est l'absence d'organisation, l'enlisement dans le train-train et la prétention du savoir faire jamais remis au goût du jour, la mal gestion des "ressources humaines" inhumaine qui fout en l'air toute une structure mais aussi la vie des gens dans le cadre de leur milieu professionnel.
6 années. A me battre. Comme "Don Quixote". Contre des moulins à vent qui ont perdu leurs ailes depuis longtemps, ou qui ne peuvent plus tourner faute de vent. Fatigue. Stress. Découragement. Foi. Croyance que l'on va réussir à résorber cela. Il en faut. Petit à petit. J'appellais ça mon sacerdoce en rigolant: mains dans le cambouis, pieds dans la gadou jusqu'aux genoux car tout était en chantier. A reconstruire. Trop de malfaçons. De vétusté. D'obsolescence. C'est difficile, c'est ingrat, mais c'est entousiasmant. C'est éreintant mais passionnant. Je suis shootée à l'adrénaline. Et enfin, les premiers résultats sont arrivés. Au bout de quelques mois.

Mon interlocuteur de ce matin est paumé. Complètement. Il me pose des tas de questions en s'excusant.
- Je suis désolé. C'est plutôt moi qui devrait répondre à vos questions pour défendre mon steak dans notre négociation.

Il est désorganisé dans l'entretien. C'est sa première négo. Constamment je dois recadrer, tout en restant à l'écoute. Il a besoin de raconter les difficultés qu'il rencontre à porter ce nouveau costume.
Je sais trop ce que c'est, mais quand même: il manque de structure.

- On va bien finir par y arriver. On est là pour trouver des solutions ensemble. Je vous apporterez les connaissances que j'ai sur votre boutique, et sur quoi moi j'attends des réponses. Où vous devez chercher à savoir, en priorité. Là il y a vraiment urgence... Vous pouvez contacter Monsieur N de ma part: il est très au point sur ceci. Et puis il a un sâcré réseau. Mme O, à S., a connu le même problème que vous sur cela. Même chose pour untel et unetelle. Vous pouvez les contacter de ma part. Ils vous aideront.Je souris:
- et en plus, ils sont vraiment sympas!

Il acquiesce. Il se détend un peu. Prend des tas de notes. Il est un peu rassuré.
Je me demande s'il a l'étoffe pour se frotter à ce job, et précisément dans un contexte catastrophique. Les questions qu'il pose me renseigne qu'il a des lacunes d'emblée sur l'environnement extérieur à sa structure. Comment celle-ci s'intègre dans le politique en particulier. La "belle" école me paraît prétentieuse de lâcher ses étudiants avec autant de méconnaissance sur ce qui relevait jadis de "l'éducation civique". Mais bon... Il apprendra. C'est ce qu'on fait tous, non?Je le lui souhaite. Je tâche en tout cas de lui expliquer en synthèse surper raccourcie, l'environnement institutionnel au centre duquel il se trouve désormais. Pour ne pas le noyer complètement.

Je lui trouve du courage. Il ne perd pas la face, et il a une forme d'humilité intelligente, à l'aune de laquelle je mesure le chemin que j'ai fait en quelques mois dans mon nouveau job. Mais il a l'air bien soucieux de tout ce poids de la responsabilité inhérente à ses fonctions. Il a pas fini de se tracasser. Je le sais. Il l'entrevoit déjà. C'est bon signe.


4 heures 30 de palabre. J'imaginais une bataille, mais au final c'est un accord de coopération que nous avons signé. Etrange. Ca me change des échanges musclés, des stratégies, des feintes, des "j'te graisse la pâte, j'te flatte", des coups bas à éviter, des pièges, des tests, pour mesurer l'étoffe de la jeune nana que je suis et qui remplace V.D.. Mes interlocuteurs habituels ne sont pas toujours sympas. Mais je ne les lâche pas sans qu'ils ne sortent satisfaits de la négo. Jamais. Même si ça traîne. Zéro échec pour l'heure. Je mise sur le face à face gagnant/gagnant. C'est ma petite satisfaction personnelle dans ce boulot dont je suis déjà blasée.
On arrête l'entretien. On peut plus avancer. La balle est dans son camp. Il est détendu à présent. Presque rassuré. Il sait maintenant que je l’aiderai. Il a du taff' et ça urge ; son pain doit pas rester sur la planche.

Ca me rappelle que j'ai faim. J'ai carburé au café depuis 6h30 ce matin. Ca fait long. Envie de mon shoot de nicotine aussi. Je file. De l'autre côté de la rue. Je me donne 20 minutes. Pas plus : d'autres obligations pro m'attendent à 14h30. Top chrono. Il flotte : pas de chance. Mais... une voiture s'arrête pour me laisser passer. En courant. Sur le tapis en bicouche rayé de blanc sale, mortel pour les motards quand il pleut. Et puis surtout, il y a Le Vésone.

C'est un bar de quartier, près de la cité administrative. A deux pas de la voie verte qui borde l'Isle. En début d'après-m', il n'y a plus foule. Les clients du midi ont repris leur boulot, leur route, le déroulement de l'agenda du jour. J'arrive après l'excitation de cette plage horaire entre midi et deux. Nettoyage des tables, rangement des chaises, cendriers vidés, fumée de cigarette dissipée, et surtout calme des 7 ou 8 personnes qui tranquillement sont encore là. Accoudées au comptoir pour discuter avec le patron. Isolées dans le coin, sous les deux aquarelles périgourdines, devant le radiateur en fonte, les yeux rivés sur l'écran télé où ce jeu terrible ne vous fait jamais que rêver de gains improbables. Certains sont attardés au coin presse, à flâner entre les mag' télé, les revus porno et les rêves de voyages en des contrées éloignées.

Le patron me lance à la cantonade un grand et franc "Booonjour chère mademoiselle!". Il prend à parti ses piliers de zinc, de derrière sa caisse et ses racks à verre:
- Voyez ce rayon de soleil qui rentre! C'est une cliente fidèle: elle vient tous les jours!

Je n'arrive jamais à faire la part de ce qui est sincère ou commercial chez lui. Sa femme me sourit. Je ne peux pas m'empêcher de les trouver gentils tous les deux. C'est pour ça que je reviens tous les jours. Je m'y sens bien. Elle est petite avec ses lunettes, sa chemise texane, ses jean's, ses cheveux attachés avec un élastique ou une barrette:
- La même chose que d'habitude? Aïe...14h00.. qu'est-ce qui nous reste ?

Elle se tourne vers le boss:
- Il te reste du pain?

De toute façon, il irait en chercher pour me le préparer ce 'wish. A la boulangerie 100 mètres plus haut. Ou ailleurs, en plein centre de Périgueux s'il le fallait. Il est comme ça. Commerçant jusqu'au bout des ongles, mais aussi attaché à ses habitués. C'est réconfortant de se faire prendre en charge.

- Oui comme d'hab' si c'est possible. Et le café en même temps. J'ai que 20 minutes. Merci beaucoup. Je paie direct' au tabac, c'est OK?

Derrière le comptoir à tabacs, cartes postales et jeux de grattage, à gauche de l'entrée, il y a cette grande et belle femme blonde. Les yeux bleus. La cinquantaine. J'arrive parfois à lui arracher un sourire. Elle est charmante. Mais elle est triste. Profondément triste. Parfois, tandis que je lui demande " des Dunhils rouge. Inter, s'il vous plaît... Oui... Deux. Merci. Et au fait… vous avez des cartes genre anniversaire, voeux, etc.? C'est pour le pot de départ d'un collègue...", ses yeux s'évadent. Son regard se perd, le long des revues en face d'elle. Il glisse sans s'arrêter sur aucun titre choc de la presse people ou des mag' à potins qui vous en fichent plein la vue. Tant, que ça fait mal aux yeux. Moi, j'adore lire les titres: c'est vraiment très drôle je trouve! Un marketing de poudre aux yeux, de perlimpimpim, mais qui marche faut croire.
Mais elle, elle n'en rit pas.

Je lui invente une vie. Mariée? Seule? Des enfants? C'est la soeur du boss. Une boutique familiale. Sans doute pour ça qu'on s'y sent bien.
- 20 minutes? C'est pas beaucoup. Bon… installez-vous trannnn-qui-lle-ment... Allez… détendez-vous : on s'occupe de vous.

C'est bon de se laisser un peu prendre en charge. Ca fait du bien. J'ai oublié mes cigarettes sur le comptoir à tabac. Le patron me les apporte en rigolant:
- Vous avez vraiment besoin d'un break, hein?

Je rigole. Etourdie... sempiternellement. Suis incurable.

20 minutes, c'est peu. Mais 20 petites minutes au Vésone, c'est comme un coup de fil passé à une bonne copine. C'est réconfortant comme un bon chocolat chaud à la cannelle et aux épices, qu'on prend dans ce salon de thé minuscule et tout simple à Brantôme. C'est comme ce rayon de soleil qui perce de derrière les nuages, par intermittence, le matin sur la route du boulot.

- Caché..soleil. Caché... Bôooooo!Rires d'enfant qui tintinnabulent dans le siège auto à l'arrière.

Oui... Il joue à cache-cache le soleil. Mais il est là. Et ça réchauffe le cœur. Comme 20 minutes attablée au Vésone. Et il continue de briller dans mon cœur si ce jour là, en plus, la femme du tabac m'a donné un sourire.